Caleb s'attendait à la réaction de Dante, mais c'est celle de Sarah qui l'intéresse le plus. Une souris, apeurée et d'une certaine lâcheté. Cette lâcheté bien à soi qui fait qu'on détourne le regard plutôt que d'affronter ses propres responsabilités, et ses propres impuissances. Il n'avait cependant pas besoin des paroles de Dante pour ranger son arme. L'effet était tout ce qu'il voulait obtenir, et mieux vaut ne pas en abuser. On finirait par se rendre compte que son arme n'est pas chargée, sa dernière balle ayant finit sa course dans la gueule d'un tigre.
Pendant que Salomé s'occupe du nez cassé de Dante, Caleb achève son examen de la lame de tarot. Ce jeu de cartes lui est trop parfaitement familier. Un même cartier, sans doute. Oui mais seulement... La tâche brune sur la carte de la maison de dieu. Il se baisse à nouveau, sous le regard inquiet du garçon, pour ramasser la carte. Il la reconnaît, comme il reconnaît son sang lorsqu'il le voit. Comment ce gamin s'est-il retrouver en possession des atouts de la sorcière des ombres ?
Arcade, quant à lui, aimerait bien qu'il arrête de tripoter les cartes de sa mère. Elle n'aime déjà pas qu'il les lui emprunte pour distribuer la bonne aventure, si en plus elle les retrouve plus abîmées qu'elles ne le sont déjà, elle ne manquera pas de le lui faire sentir.
Il n'est pas sûr de savoir comment interpréter la remarque de Dante sur son coup leste, et garde le silence, n'osant pas contredire. Le jeune voleur sait très bien que, s'il avait voulu le frapper ainsi, il n'aurait pas réussi. Comme il n'avait rien su viser avec sa fronde. Une chance, l'aubergiste ne lui en tient pas rigueur, sa femme non plus alors qu'elle surgit. Ce qui n'échappe pas à Arcade, c'est que cette femme est protégée. Pas juste physiquement, on protège son jugement qu'on respecte et ses décisions qu'on suit. Sarah aussi lui confie quelques paroles en toute discrétion. C'est sans doute elle qui à le dernier mot ici. Alors, quand elle l'invite à monter pour manger gratuitement, Arcade n'est pas mécontent d'être dans ses bonnes grâces.
Il essuie ses yeux dans un pli de sa chemise, et hésite devant la main sûre que lui tend Caleb pour l'aider à se remettre sur pieds. Clairement, l'homme devant lui est le plus dangereux de cette pièce, mais c'est aussi le seul à porter des vêtements faits sur mesure, et donc, le plus riche. Quoi que la prothèse de Dante doit valoir son pesant d'or dans le genre, également... Mais ça serait un larcin bien moins discret : on ne vole pas un bras si facilement. Alors Arcade inspire, comme pour se moucher, mais c'est avant tout pour se donner du courage. C'est maintenant ou jamais, pendant que celui qui ne peut être qu'un de ces aristo de vieille noblesse, blindés de titres fonciers, a baissé sa garde, troublé par le tarot.
Arcade accepte sa main tendue, lui saisit le poignet, se relève en pesant sur son bras pour le forcer à investir tout son poids et son attention sur son côté droit. Une fois debout, il fait mine de trébucher et s'affaisse un moment contre le bras gauche de l'homme, l'obligeant à changer d'équilibre. Arcade l'a vu, Caleb est droitier, il rangera ses objets de valeur dans sa poche droite. Maintenant que sa diversion tactile est en place (redoutablement efficace d'ailleurs, peut-être l'homme a-t-il une côte fêlé ou une douleur musculaire sur son flanc gauche ?), il n'a plus qu'à glisser sa main dans la brèche ouverte. La poche est offerte, sans défense, tout comme la montre à gousset qui y somnole. La décrocher est un geste facile pour qui y est habitué, et en quelques secondes, de sa mains à sa manche, elle a changé de propriétaire. « Ça, c'est pour le flingue et le tarot ! » pense-t-il, alors qu'il se retourne pour remercier Salomé d'un sourire tendre, un brin charmeur, mais surtout gonflé de la fierté de sa petite revanche. Sarah, Dante et cette femme qui lui offre sa protection n'ont rien pu voir, occupés par le nez cassé et les chuchotements de la serveuse. Il n'a plus qu'à se pencher pour ramasser le reste de ses arcanes répandu sur le sol, reprendre celle que Caleb lui tend, et les ranger dans sa poche. Sa poche étrangement vide. Sa main se resserre sur l'absence de cailloux qu'il avait précédemment ramasser sur le chemin en vue étourdir à la fronde un ou deux moutons. Ses yeux noirs tombent sur Caleb, scandalisés. Ça ne peut-être que lui. L'homme soutient son regard, avec un pli moqueur épinglé au coin des yeux.
Une montre contre des cailloux blancs, certes, c'est de bonne guerre. C'est d'avoir été berné qui le froisse. Oh et puis ! Très bien ! Si c'est un jeu, alors que la partie commence ! Une fois mais pas deux, Arcade sera plus attentif désormais.
Le gamin s'approche pour suivre Salomé à l'étage. Il ignore royalement Dante en passant à côté de lui : la vue du sang ne lui a jamais réussi.
Fermant la marche, Caleb s'approche de l'aubergiste et lui glisse à voix basse.
Caleb : Méfiez-vous, vous et votre femme, de vos objets de valeur et de vos poches. Le gamin vient de me voler ma montre.