II – Le flashback
En français, «retour en arrière».
Le début du récit n’est pas le début de l’histoire, mais une étape ultérieure. J’apporte une précision :
un début en flashback n’est pas forcément un prologue ! Le prologue, c’est encore autre chose.
Stephen King réussit au deux débuts avec ce procédé :
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Salem : les deux héros ont quitté Jerusalem’s Lot depuis un bon moment, mais savent qu’ils doivent y retourner pour vraiment tourner la page. À noter un procédé très réussi pour les rendre mystérieux : ils ne sont pas nommés une seule fois, ne sont appelés que «l’homme» et «l’enfant». Le début proprement dit se fait au chapitre suivant, quand Ben Mears («l’homme») arrive à Jerusalem’s Lot pour s’y installer.
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La ligne verte : «Ça s’est passé en 1932» commence Paul Edgecombe, le narrateur. Lorsqu’il écrit sont histoire, 1932 est loin. Il est âgé et patient d’une maison de retraite. Qu’est-ce qui s’est passé en 1932 ? On le sait au chapitre suivant (en fait le premier épisode :
La ligne verte est un feuilleton) : c’est l’arrivée au bloc des condamnés à mort d’une prison, où Paul était gardien.
Christopher Golden, un auteur moins célèbre, réussit tout de même un bon flashback avec
L’illusionniste : le narrateur et héros (non, le narrateur et le héros ne sont pas forcément un même personnage ! Les enquêtes de Sherlock Holmes ne sont pas narrées par le grand détective lui-même, mais par le docteur Watson. Et avant ce tandem, il y a eu Auguste Dupin, dont les enquêtes sont narrées… par le meilleur ami) fuit une menace dans les rues de Londres. Mais quelle menace ? Il faut attendre le premier chapitre pour commencer à voir comment il en est arrivé à cette situation.
Souvent, mais pas forcément, un début en flashback se passe in media res. Marty, dans
L’illusionniste, est in media res. Mais l’homme et l’enfant de
Salem suscitent des questions dans un climat ordinaire, et Paul Edgecombe commence tout simplement à écrire son histoire.
Plus encore que pour le début in media res dans la mesure où on commence son récit après le début d’une histoire, on risque de spolier. Quoique… cela peut être voulu. Ruth Rendell n’hésite pas à commencer son
Analphabête par :
C’est parce qu’Eunice Parchman ne savait ni lire ni écrire qu’elle avait tué les Coverdale.
Si vous voulez réussir une intrigue en la débutant comme ça, attention ! Vous dites déjà comment l’histoire va finir, c’est à vous de savoir rendre insupportable l’attente de cette fin. Je conseille franchement d’attendre d’avoir beaucoup de métier avant de s’embarquer là-dedans ! Nous ne sommes ni les uns ni les autres des reines ni des rois du polar…
Qu’est-ce que ça donnerait pour Loire sanglante ?Un tintement de douleur dans son crâne lourd le réveilla. Quelque chose pressait ses poignets, entaillait leur peau. Une odeur humide et âcre de cave s’engouffra dans ses narines. Ses paupières, pesantes et molles, daignèrent s’ouvrir. Enfin, ses yeux lui révélèrent des murs sombres et sales. À travers un soupirail, la lumière du jour parvenait à se glisser en une clarté laiteuse.
– Lieutenant Groskrox ! se moqua une voix derrière lui. Dites-moi un peu : votre équipière, elle a établi quel profil de moi ? Est-ce qu’elle pense que j’ai eu une enfance malheureuse ? Est-ce qu’elle imagine les petits animaux que je torturais quand j’étais gamin ?
Ne pas répondre. Se concentrer sur les souffrances à venir. Dans un film d’action bien téléphoné, Tanis débarquerait, accompagnée de renforts, juste au moment où une lame étincelante effleurerait la gorge du beau flic. Mais Bernard Groskrox n’oubliait pas dans quelle réalité il vivait. Déjà, ses cheveux gris et son visage banal l’éloignaient de ces gros bras et autres jeunes premiers d’Hollywood. Ensuite, la petite Tanis ne pouvait pas savoir où se trouvait cette foutue cave.
– Allez, quoi ! Elle a dit quoi, sur moi ? C’est Tanis, qu’elle s’appelle, c’est ça ? Zoé Tanis ?
Comment se malade pouvait-il le savoir ?
Bernard tenta de bondir, mais une chaîne rattachait ses menottes à un mur.
– Comment Tanis me voit ? S’il vous plaît…Et le chapitre suivant pourrait s’intituler «Quatre jours plus tôt».
Quant à La palette des enfers, voici ce que pourrait donner un début en flashback :– Coucou ! salua Elijah.
Aucune de ses toiles ne lui répondit. Pas un seul de ces démons peints ni de ces monstrueux animaux crayonnés n’ouvrit son mufle. Mais les éclats malsains de tous ces yeux blancs lui réclamaient quelque chose.
– Oui, je sais ce que vous préféreriez : vous préféreriez rester chez Maman. Mais Maman, elle a la gloire en vous vendant, c’est ça le problème !
Aucun regard ne changea. Les avait-elle mal compris ?
– Oh ! Au temps pour moi ! Vous pouvez supporter de changer de propriétaire, mais… Non, ne me dites pas qu’il vous en faut encore un !
Elle avait espéré sortir de cette ignoble spirale sanglante. Mais non ! C’étaient encore eux qui tenaient les rênes ! Est-ce que cela finirait un jour ?
Et comment tout avait commencé, déjà ? C’était le mois dernier…Et une petite phrase finale —pas obligatoire du tout– pour amener la suite, qui sera le commencement à proprement parler de l’histoire.
Qu’en serait-il pour Instinct de chair ?2:07. Ces chiffres en épaisses diodes bleues éclairaient de leur lueur le visage endormi d’Ombrage, le teintaient d’une couleur cadavérique. Sous les yeux fermés, les pommettes se crispèrent, la bouche s’ouvrit sur un gémissement muet. Dans la tête qui se tournait et s’agitait sur l’oreiller, des souvenirs hachés affluaient. La mémoire projetait des images et des paroles, plus sinistres les unes que les autres.
Le verrou électrique qui bourdonnait et claquait, la grille qui coulissait et révélait la cellule crasseuse.
Cette femme recroquevillée entre la couchette dérangée et les toilettes, sa tête penchée, ses cheveux hirsutes qui tombaient en une cascade poivre et sel, les affreuses bosses de sa moelle épinière trop courbée.
– Bonjour Kean !
Ce sourire cruel et gourmand, ce regard vorace et… lubrique ?
2:13. Ombrage se réveilla en sursaut, le rire grinçant de Kean résonnait encore dans son cerveau. Ce son hideux n’en finissait pas de s’éloigner.
Kean. La cannibale…Et on enchaîne sur l’histoire, en montrant une Ombrage insouciante qui ne réalise pas vraiment ce qui l’attend. C’est le genre d’effet que permet un flashback : montrer le contraste entre ce qu’étaient les personnages au début de l’intrigue et ce que les évènements ont fait d’eux.
Dernière édition par RaphaëlLIII le Mar 13 Juin - 22:01, édité 1 fois (Raison : Suite de la fiche, avec un début en flash back pour [i]Instinct de chair[/i])