Quoique plus discret que ses voisins, Jérémie applaudit la prestation de Lénius et Tristan. La musique de l'homme difforme l'a transporté, quoiqu'il ne l'a pas montré. La danse de Tristan, sublime, vive et fauve, lui a cependant imprimé une certaine gêne. Tant de présence de ce corps, tant de sensualité. Jérémie n'a jamais vu ni connu cela.
Et justement, les deux invalides s'inclinaient encore et remerciaient chacun pour leurs compliments, lorsque deux autres personnes entrèrent dans le bar. Jérémie les salua d'un hochement de tête - avec un léger sourire en reconnaissant Enora. Qui est l'autre homme toutefois ? Peut-être un autre membre de la famille, voire son mari. L'individu difforme pour sa part leur adressa un large sourire sans complexe, et prit un malin plaisir à les saluer précisément de sa main particulièrement immonde, lorsqu'il eut capté les regards horrifiés de l'homme à l'encontre de son membre grotesque.
Tristan était encore tout aux effets de sa danse qui s'achevait à peine, lorsqu'il salua les deux nouveaux arrivants d'un sourire très engageant. Cependant, aucun mot ne sortirent de sa bouche : quand son corps ne chantait plus, quand il ne grattait plus la Terre ou y puisait, quand il ne se jetait pas tout entier dans ses courbes vertigineuses, il retrouvait sa timidité en matière de paroles. Sa poitrine se soulevait encore au rythme soutenu de la musique, ses couteaux étincelaient dans ses doigts, ses joues et sa gorge étaient encore humides de sa transpiration. Tristan remit en ordre ses habits sur ses épaules et réajuste ses nombreuses breloques. Il tiqua un peu à l'attitude de Lénius - pourquoi donc jouait-il tant à enfoncer le clou et à se faire mépriser...
Tristan (à Yunna) Merci. Et vous inquiétez pas, pour les couteaux... (il les range, conscient, à l'instar de la jeune femme, que dans sa danse il porte la mort - d'une façon qui lui est même parfois mystérieuse à lui-même. Puis, à Salomé) Bien sûr, vot' petite ne verra pas ça. (à Enora, désolé, ses joues rougissant un peu) Oh, on vient d'finir, si... J'suis désolé. (petit sourire, mais très timide à la vue de la haute tenue de la dame très certainement noble, et de celui qui était probablement son mari, qui ressemblait d'ailleurs bien à l'homme au violoncelle venu plus tôt) Mais dès que j'me serai un peu repris, et si Lénius veut bien, il rejouera et j'danserai pour vous.
Lénius (large sourire, à Salomé) Mais avec plaisir ! Quand Cassandre se réveillera, j'irai volontiers jouer pour elle !
Les deux invalides s'entre-regardèrent lorsque la jeune femme médecin leur demanda de conter leur rencontre. Que dire ? Tristan n'était pas fier de cette rencontre. Il avait volé des pommes et, tandis que des gendarmes l'avaient arrêté, Lénius était venu à son secours - solidarité d'invalides. Sans l'intervention de Lénius, le garçon aurait eu droit au pilori et aurait une oreille en moins... Oui, Tristan n'était pas seulement un danseur. Lorsque même l'art ne pouvait nourrir son homme, il chapardait. Il ne voulait pas que cela se sache.
Lénius. Oh, disons que j'ai donné un coup de main à Tristan, un jour dans la rue. Et depuis, on ne s'est plus quitté. (ils passent leurs bras à leurs épaules, puis Tristan picore quelques cacahuètes amenées par Dante)
Tristan (à Dante, dégustant l'absinthe qu'il venait de lui amener) Il est très bon ce vert, merci beaucoup ! Non merci, pas besoin d'la flamber. (il manipule son verre avec des gestes alertes et déliés, l’œil pétillant et félin)
Lénius éclata de rire à la plaisanterie de Yunna quant à sa responsabilité, lui adressa un clin d’œil et se racla la gorge, avec une parodie de fierté, pour répondre à sa question quant au contenu du seau :
Lénius Oh ! A dire vrai, il est plus que probable que mes excrément faisaient partie du lot, je n'en sais rien, nous avions pris sans réfléchir les pots de chambre les plus proches et qui n'avaient pas encore été vidés par les... ("les esclaves", mais Lénius se retint. Tous érudits et avancés qu'étaient ses parents, Lénius n'assumait pas du tout le fait que sa famille avait possédé des esclaves) pas encore vidés. (il sourit avec un fond de mélancolie à la remarque de Salomé quant à sa plaisanterie avec le miroir brisé.)
Jérémie. Je trouve cela très beau aussi. Vous êtes fort inventif.
Tristan (au compliment de Salomé quant à la robe de feuilles qu'il s'était composé jadis et qui lui avait valu des coups et des "déviants", "invalide démoniaque" crachés par les éducateurs de l'institut) Merci. 'Faut croire qu'ça avait été réussi oui. Assez pour attirer à c'point l'attention héhé.
Jérémie (une seconde, l'air grave et l'oeil un peu perdu lorsque Salomé l'interroge quant à la lecture) Avec le recul, non. Comme vous le dites, un livre est bien plus beau et salvateur qu'une arme. Et cette lecture m'a sauvé, fait grandir, soutenu toujours dans le pire. (petit sourire un peu froissé) Mais sur le moment oui, les ennuis auprès du voisinage n'avaient point manqué. Et je me souviens encore du visage défait de ma mère. Du secret éventé, des questionnements et des vexations des familles alentour. (balaye cela d'un geste de la main) Oh, tout cela n'est plus rien. (son visage se fait plus ouvert, une lueur de bonheur et de fierté ranime ses larges yeux noirs)
Jérémie se tendit, son dos droit et raide, son visage impassible, lorsque Salomé rappela les tristes exploits des soldats du roi à son encontre. C'était humiliant. Et cela ramenait le spectre de ce qu'il avait été - et était encore quoiqu'il s'en cachait. Non, il n'était plus ce corps servile. Il avait changé. De nom. De costume. D'environnement. Il adressa un discret regard encore reconnaissant à Dante et Salomé, à ce souvenir de la manière dont ils l'avaient protégé. Mais pourvu que personne ne pose davantage de questions.